Mes filles, mes racines
Je prends rarement le temps de m'asseoir et de regarder derrière moi pour me rendre compte de tout le chemin que j'ai parcouru avant d'arriver ici aujourd'hui.
Cette année, cela fera dix ans que je vis en Espagne et pourtant, je me souviens parfaitement des dernières heures qui ont précédé mon départ. Si à ce moment là on m'avait montré tout ce que j'étais sur le point de vivre, je ne l'aurais certainement pas cru.
Je mentirais en disant que mes débuts en tant qu'expatriée se sont bien passés. Il m'a fallu moins de deux mois avant de trouver du travail mais ce temps m'avait alors semblé interminable. Je ne
cessais de me demander dans quelle galère je m'étais embarquée et surtout, comment j'allais pouvoir m'en défaire.
J'ai eu longtemps la conviction que ma vie n'était pas dans ce pays. Trop de manque, trop de distance, trop d'absence. Rien que la première année, je suis rentrée trois fois en
Bretagne... Je partais le coeur léger, impatient. Je rentrais vidée, comme si à chaque nouveau voyage je laissais une part de moi là-bas.
Puis, le
temps a passé, les séjours se sont espacés et je me suis habituée à ce manque.
Je me suis habituée à l'idée que je n'étais plus de là-bas, même si je n'étais pas non plus d'ici...
On me demande souvent si cela n'a pas été trop difficile de vivre une grossesse (puis deux), un accouchement (puis deux) alors que j'étais si loin de ma famille. S'il n'était pas trop compliqué de vivre tous ces chamboulements dans une langue qui n'est pas la mienne. En réalité, tout me semblait alors évident.
J'ai envie de dire que c'est bien cela qui m'a aidée à planter mes racines dans ce pays. Mes filles sont nées en Espagne, elles grandissent dans ce pays et elles me parlent dans cette langue que je maitrise aujourd'hui parfaitement. Elles m'ont aidée à m'ouvrir davantage à la culture d'ici, à m'investir davantage dans les relations que j'avais.
Il n'y a plus de place pour le doute désormais. Certains changent de ville, de région. En changeant de pays, j'ai arraché mes racines de l'endroit qui m'a vu grandir. En donnant naissance à mes filles, j'ai accepté de planter mes racines à l'endroit qui les voit grandir, jour après jour.