Les portraits de Famille
C'était il y a quelques semaines, durant mon court, trop court séjour dans le Finistère.
Des billets réservés sur un coup de tête pour aller vérifier par moi-même l'état de santé de ma grand-mère maternelle.
Elle était assise dans ce fauteuil où elle passe désormais ses journées, face à la fenêtre aux rideaux tirés pour que les rayons du soleil n'usent pas davantage le cuir du vieux canapé. Ça me faisait presque sourire de savoir que l'on pouvait se cacher du soleil à Brest...
Elle me demandait de lui raconter ma petite vie, elle me parlait de ses journées, des visites de l'infirmière, du temps qu'il fait, de ses amies qui disparaissent avant elle...
"Mais tu sais, elle était plus jeune que moi, elle n'avait que 81 ans".
Je me suis assise en face d'elle sur le vieux canapé et j'ai ouvert le grand carton qu'elle m'avait autorisée à aller prendre dans son armoire.
Il y avait là dedans une étrange pagaille! Les couleurs se mélangeaient au noir et blanc, il y avait des photos de naissances, de Communions, de Mariages, de voyages...
Des photos anciennes, d'autres plus récentes. Des photos où je reconnaissais certains visages, d'autres pas du tout.
Je lui demandais: "Et ça, c'est qui?" des dizaines de fois, avant de la voir fouiller dans sa mémoire pour me raconter ensuite l'histoire de ce morceau de papier.
Jamais l'ombre d'un doute, des souvenirs intacts malgré le poids des années.
Pendant une poignée d'heures, j'ai eu conscience que je vivais un moment unique de mon existence.
Les portraits de famille sont pour moi de véritables trésors. Ils sont à la fois nos origines, nos racines, notre identité et nos valeurs à travers un simple morceau de papier.
Lorsque j'écoutais ma grand-mère me raconter l'histoire de toutes ces personnes aujourd'hui disparues, j'avais l'impression de faire un voyage dans le temps, d'avoir accès à un héritage de valeur inestimable.
J'aurais pu rester longtemps auprès d'elle, l'écouter me parler encore et encore de ces années pourtant si difficiles, de ces souvenirs d'une époque que je n'ai pas connue.
Avant de la quitter, j'ai rangé tous ces morceaux d'histoire dans le grand carton et je l'ai remis à sa place dans l'armoire. En partant de chez elle, je voyais encore tous ces visages et son regard plein de nostalgie. J'étais émue de tout ce que j'avais découvert et à la fois déçue de ce que cela signifiait...
Sur le papier vieilli, tout semble tellement parfait que l'on voudrait oublier tous ces secrets dont on ne connaît que trop les conséquences. Les sourires forcés et les poses arrangées ne parviennent pas toujours à dissimuler les épreuves traversées...
J'ai toujours idéalisé le concept de famille mais j'ignore de quelle façon je suis parvenue à l'alimenter tant chez nous les conflits ont toujours existé. Je me demande pourquoi la famille reste toujours ce phare qui nous guide alors qu'elle est bien souvent ce qui nous détruit...
De quoi sera rempli le carton de mes souvenirs lorsqu'il s'agira de le transmettre à mes filles?
Nous trouvons de tout dans notre mémoire. Elle est une espèce de pharmacie, de laboratoire de chimie, où on met au hasard la main tantôt sur une drogue calmante, tantôt sur un poison dangereux