La grand-mère de Jade - Frédérique Deghelt
Lorsqu'il a fallu que je prépare mes affaires avant ma dernière escapade en solitaire, le premier objet que j'ai choisi de mettre dans mon sac est ce livre de Frédérique Deghelt.
Il faut croire que je l'avais gardé spécialement pour l'occasion... Quel meilleur moment pour le découvrir que ce voyage que j'allais faire pour rendre visite à ma grand-mère, Jeanne...
Résumé:
Pour éviter à sa grand-mère Mamoune un placement en maison de repos, Jade la "kidnappe" et l'installe dans son appartement parisien.
L'octogénaire savoyarde et la jeune célibataire tissent avec douceur et simplicité une vie commune nourrie de leurs souvenirs. Au-delà de l'affection, elles se découvrent un autre lien: Jade s'essaie à l'écriture, tandis que Mamoune, lectrice passionnée, a secrètement fait de ses montagnes savoyardes son cabinet de lecture. Jade, qui concevait sa vie sans ancrages ni repères, apprend de sa grand-mère que c'est dans la confiance et l'acceptation de l'autre que l'on a des chances d'être soi. Grâce à Mamoune, touchante dans sa dignité chancelante, l'appartement de Jade devient le lieu de tous les possibles.
Alors que j'assiste, à distance, au dilemme que représente l'état de santé actuel de ma grand-mère maternelle, ce roman ne pouvait pas me bouleverser davantage...
Avec une plume sensible et un témoignage poignant, Frédérique Deghelt nous livre un roman à deux voix où divers sujets forment un ensemble qui nous touche inévitablement. On y parle des rapports entre différentes générations, des souvenirs, des regrets, de la lecture et de l'amour.
Au fur et à mesure que l'on avance dans l'histoire, on découvre tour à tour les inquiétudes de Jade et celles de Mamoune (Jeanne de son prénom...) que cinquante ans séparent.
Jade a trente ans et vient de se séparer de l'homme qui partageait sa vie. Ses doutes et ses angoisses sont étroitement liés au temps qui passe:
Elle s'était demandé à quoi pouvait bien servir la vie. Tout lui paraissait vain. Avoir des enfants, avoir un couple, avoir un amant... De toute façon, pour se retrouver vieux, seul et malade, il n'y avait pas de quoi continuer.
Depuis que j'ai trente ans, je pense que j'ai peut-être franchi la moitié de mon existence. [...] Si la deuxième partie se met à courir aussi vite que la première j'en aurai vite terminé avec ma vie.
Ce temps que Jade partagera avec Mamoune lui permettra de voir différemment l'avenir, d'apprendre à voir où se trouve l'essentiel:
Selon Mamoune, ce n'était pas la jeunesse qui passait avec le temps. C'était une certaine façon de la considérer. À l'intérieur du corps vieilli, le feu qui nous a consumés n'est jamais complètement éteint. Et tu vois, c'est ce qui rend injuste le regard porté sur notre âge. On s'indigne de ce corps qui ne suit pas les mouvements impétueux du désir. [...] Ce n'est pas le corps qui décide. C'est autre chose. C'est quand l'âme se refuse le plaisir de vouloir encore, malgré le poids de l'âge, que tout s'en va en lambeaux.
De son côté, Mamoune incarne l'image parfaite de la grand-mère que tout le monde rêverait d'avoir. Elle nous transmet, à travers les mots de l'écrivain, une véritable leçon de vie et de tendresse.
Ma grand-mère refuse également le placement en maison de retraite et les mots de Mamoune lorsqu'elle s'adresse à sa fille expriment à la perfection ce qu'elle peut ressentir:
Tu l'apprendras sans doute en abordant ta propre vieillesse. Notre vie est bâtie comme une série de pays reliés par des ponts. Et je les ai presque tous franchis, ces ponts. À l'âge où je suis, empêchée de revenir sur certains de ces territoires, plus je vais, plus les souvenirs suffisent à ce que je deviens. Mais je crois que choisir son lieu de vie et les êtres qui sont autour de soi est la dernière dignité qui reste à un être vieillissant.
J'ai déjà eu l'occasion de présenter d'autres lectures du même auteur, ICI et ICI mais cette fois encore, j'ai été comblée par cette auteure.
Ce qui me manque, ce n'est pas ce que je crois être encore et ne suis plus, c'est ce que je ne suis pas devenue.