S'en souviendront-elles?
La veilleuse enveloppe le couloir de sa douce lumière bleutée, je ramasse mon livre et je descends l'escalier sur la pointe des pieds.
Je n'entends plus celle qui tapait contre les barreaux de son lit ni même les peluches qui s'écrasaient peu avant sur un coin de carrelage.
Celle qui m'a demandé plusieurs fois un dernier bisou a finalement cédé à l'appel du sommeil.
Celle qui ne voulait vraiment "pas
do'mir" a le nez enfoui dans son Doudou et respire paisiblement au milieu de son tas de chiffons.
Ce n'est qu'une fois le silence revenu que je retrouve mon calme. La tension retombe, les épaules se détendent, le rythme ralentit.
Et là je me demande pourquoi je me suis encore emportée parce que Miss N. faisait le Petit Poucet en laissant des traces de dentifrice sur son passage, pourquoi je me suis
encore emportée parce qu'elles sautaient sur le lit alors que le moment de l'histoire DEVRAIT être un moment calme, pourquoi je me suis encore emportée parce que je devais ramasser leurs
chaussons / le jouet sur lequel j'ai lamentablement glissé / les chaussettes qu'elles avaient sauvagement abandonnées...
Mais pourquoi c'est tous les jours comme ça?
Pourquoi ai-je tant de mal à lâcher prise et à leur permettre d'être tout simplement ce qu'elles sont? Elles n'ont que deux et quatre ans, à quoi ça sert que je m'égosille (vainement) et que je fasse des moulinets (inutilement) devant elles pour avoir leur attention?
Je me demande si elles se souviendront de mes regards noirs de colères, de mes gestes pas toujours tendres, de ces mots qui sifflent et de ces moments qui abîment ceux où nous savons si bien profiter d'être ensemble.
Peut-être qu'elles choisiront de se souvenir uniquement de mes fous rires lorsque je les vois se crêper le chignon, se disputer un morceau de jouet, s'échanger leurs paires de chaussons (ou porter les miens) ou leurs vêtements, de mes regards lorsque Miss N. négocie le dernier morceau de gâteau de sa soeur...
Et si elles pouvaient garder simplement le meilleur, ce qui nous permet de construire jour après jour ces liens qui nous unissent? Et si j'essayais d'y croire?