Le temps et les enfants
Hier était pour moi un jour chômé (tout comme mes compatriotes de l'autre côté des Pyrénées) en raison d'une fête locale dans la ville où se trouve mon lieu de travail. Ce n'était pas le cas de Monsieur Ordinaire ni même celui de Miss N., qui ont respectivement rejoint leur poste de travail et cour d'école.
Je me suis retrouvée en tête à tête avec Petite I. alors que cela n'était pas arrivé depuis bien longtemps... J'ai également pu conduire Miss N. à l'école et j'ai bien senti à la pression de sa petite main dans la mienne qu'elle serait bien restée avec moi un peu plus encore.
Tout au long de cette journée je me suis souvenue de cet article que j'ai lu
la semaine dernière grâce au lien partagé sur le FB des Vendredis Intellos. Depuis
que je travaille et que je parle au passé de ce temps que je pouvais consacrer presque exclusivement à mes filles, j'ai souvent l'impression de passer à côté des convictions que j'avais
concernant leur éducation. Je n'ai plus le temps de leur laisser... du temps! Les semaines sont une véritable course contre la montre,
autant pour jongler entre les horaires de travail, ceux de l'école, de la baby-sitter et la routine du quotidien. Je sais parfaitement que la société dans laquelle nous vivons est rythmée ainsi
mais cela ne m'empêche pas de penser qu'il pourrait en être autrement...
Je viens donc aujourd'hui vous parler de ce dossier publié dans Confluences et qui s'intitule "Le temps de l'enfant".
"Certains discours véhiculés aujourd'hui sonnent comme de véritables sentences du "juste temps": "Un bébé doit faire ses nuits à trois mois", "Allaitez-le 15 minutes toutes les 4 heures", "Tu le prends trop souvent à bras, il va devenir difficile", "Maintenant que tu vas rentrer à l'école, tu es un grand garçon qui ne fait plus pipi dans son slip", etc."
Celui ou celle qui n'a jamais entendu l'une des phrases qui précède peut immédiatement faire glisser son curseur jusqu'au bas de ce message afin de se manifester...
La société dans laquelle nous vivons actuellement est sans cesse en mouvement, tout change rapidement, nous vivons dans une ère du jetable, du consommable, du tout et tout de suite. L'auteur de l'article de référence, Brigitte Dohmen (Psychologue spécialisée en périnatalité et en haptonomie périnatale), cherche à démontrer comment notre époque exerce une influence sur la parentalité, de la conception à la naissance de notre enfant.
"Le temps que cela prend de "tomber enceinte" est devenu une anomalie qui la fait sentir différente des autres (donc anormale) et crée de l'incompréhension et de la souffrance. Ce temps de latence est refusé."
Dans ce contexte d'immédiateté, la femme aurait tendance à penser qu'une fois la contraception arrêtée, la grossesse devrait arriver tout de suite et, lorsque ce n'est pas le cas, penserait forcément à une anomalie de son corps.
Il n'y a plus le temps d'attendre et les progrès de la médecine étant davantage à la portée du plus grand nombre, les techniques de procréation médicalement assistée soigneraient alors "des couples impatients et sans pathologie".
Au-delà de l'opinion de l'auteur sur cette question, je pense que notre société est en partie responsable de la necessité actuelle de ces méthodes mais qu'il est trop facile de généraliser ainsi le sujet car bien d'autres facteurs sont à prendre en compte avant d'établir cette affirmation.
L'auteur aborde la question de l'horloge biologique de la femme en montrant qu'aujourd'hui elle ne prend plus le temps d'interrompre sa carrière pour se consacrer à sa maternité, craignant ainsi une dévalorisation professionnelle. L'âge moyen du premier bébé pour une femme ne cesse de reculer et se trouve aujourd'hui après 28 ans.
Suivant le même rythme, le temps de la grossesse ne serait pas davantage respecté.
"À l'heure actuelle, la société et les impératifs de sa vie professionnelle ne l'autorisent plus à se couler dans le temps de la grossesse. Elle doit continuer à fonctionner comme si elle n'était pas enceinte, faire oublier qu'elle l'est, rester performante, être dans l'agir plutôt que dans l'être."
En Espagne, le congé maternité est de seize semaines, tout comme en France. La différence se trouve dans le fait que la femme peut choisir du moment où commence son congé maternité, sachant que des seize semaines, six doivent être prises après la naissance. En ce qui me concerne, pour ma première grossesse je me suis arrêtée à 38 SA et je me suis parfaitement reconnue dans ces quelques phrases de l'auteur. Pendant plus de huit mois j'ai eu l'impression de devoir en faire bien davantage qu'en temps "normal" pour prouver que la grossesse n'était pas une maladie et que cela n'affectait pas mon rendement professionnel. Autour de moi, j'ai rarement perçu cette soi-disant considération de la femme enceinte. Tout cela est tellement paradoxal! D'un côté on est extrêmement surveillée médicalement, comme si le futur de l'humanité en dépendait (ou presque) . D'un autre côté, il nous faudrait agir comme s'il n'en était rien...
Et puis neuf mois, c'est tellement long pour ce monde dans lequel tout devrait aller toujours plus vite! Alors on voit des accouchements programmés, déclenchés avant l'heure, parfois pour des raisons médicales, certes, mais souvent pour des raisons de "confort".
Mon expérience de primipare en a fait les frais. On m'a fait croire que pour le bien de mon bébé il fallait induire la naissance avant la DPA alors que j'ai découvert par la suite qu'il s'agissait uniquement du bien de l'agenda du gynécologue qui s'évitait ainsi un dérangement pendant son week-end... Je n'ai rien osé dire, j'ai fait confiance à celui qui avait suivi toute ma grossesse, j'ai cru qu'en professionnel de la santé qu'il était, il souhaitait évidemment le meilleur pour nous deux... L'induction d'un accouchement peut être un véritable traumatisme, pour la mère comme l'enfant, même si comme beaucoup ont eu la manie de me dire : " Te plains pas, au moins ça n'a pas fini en césarienne."
"Actuellement, l'accouchement est devenu un acte médical, géré comme une pathologie qu'il n'est pas, contrôlé et orchestré en fonction des besoins de l'équipe et des horaires du médecin. Il est la plupart du temps déclenché et rythmé artificiellement, anesthésié et contrôlé sans respect de la physiologie".
Mais après une naissance où le rythme de la femme et de l'enfant n'ont pas été respecté, comment peuvent se passer les débuts de la parentalité? Que sommes-nous en train de transmettre à ce bébé qui a grandit dans notre ventre et que l'on a déjà examiné sous toutes les coutures avant même de le rencontrer?
"On le pèse, le mesure, on l'aspire, on le pique, bref un accueil individualisé et chaleureux! Bienvenue dans le monde. Monde à l'envers qui accueille avec si peu d'humanité celui qui sera notre futur".
Le progrès, la science, la technologie, tout avance tellement vite que nous avons peut-être trop facilement tendance à oublier que ce rythme n'est pas naturel. Nous ne savons pas toujours écouter nos propres désirs lorsqu'ils vont à l'encontre de ce qui est décrit comme la norme actuelle.