J'aurais aimé accoucher autrement...
Je crois que je l’ai su tout de suite. J’ai d’abord essayé de me convaincre du contraire au cas où ces étranges sensations ne seraient que le fruit de mon imagination.
J’espérais, j’imaginais, je me raisonnais, j’attendais… Puis ce retard, quelques jours seulement mais suffisamment pour vouloir en avoir la certitude.
J’étais la seule à savoir, une journée entière où j’ai gardé mon secret comme un trésor avant de partager avec lui la nouvelle. L’émotion était réelle, les inquiétudes aussi mais nous étions ensemble et c’est bien là ce qui m’importait.
Je me suis habituée doucement à ce quotidien rythmé par les visites chez le gynécologue, les analyses en tout genre, les échographies, les cours de préparation à l’accouchement, sans pour autant négliger mes obligations professionnelles que j’ai respecté jusqu’à deux semaines avant la DPA. J’ai continué à voyager, à assister à toutes ces réunions et autres salons liées au secteur qui m’employait. J’ai appris à compter les semaines avant la date du terme, j’ai découvert à quel moment notre bébé avait des orteils sur ses pieds, j’ai soigné le menu de ce qui était devenu l’auberge de notre Bébé.
Je me laissais porter par cette vague où je n’avais qu’à suivre des instructions. Comme à mon habitude, perfectionnisme oblige, je m’étais préparée absolument à tout. A tout sauf à ce moment où la vague vous renvoie sur le rivage, la bouche pleine d’eau salée…
J’avais choisi de confier le suivi de notre attente à ce gynécologue que j’avais eu l’occasion de consulter pour une visite « de routine ». D’un certain âge, je pensais lui attribuer ma confiance en raison de son expérience.
Au fil des rendez-vous mensuels, il n’a jamais cherché à nous mettre à l’aise ou même à nous expliquer ce que nous étions en train de vivre. Pas un mot rassurant, pas de geste amical, professionnel mais bien peu humain.
Les mois passaient, la date de la rencontre avec notre Bébé approchait et les rendez-vous chez ce médecin se succédaient. Une semaine avant la date du terme, lors d’une visite de contrôle, il m’a demandé de m’allonger afin de vérifier l’ouverture du col. Il m’a demandé de me détendre mais malgré la meilleure volonté du monde, cela m’était absolument impossible. Il me faisait mal, très mal et je me doutais que cela n’était pas nécessaire. Je me plaignais et il me répondait en souriant « Mais ça ne fait pas mal, attend donc d’accoucher et tu sauras ce que c’est d’avoir mal ! ». Le malaise était présent et je ne pouvais retenir mes larmes, sous les yeux incrédules de Mr mon Chéri.
Ce soir là j’ai saigné et j’ai eu beaucoup de contractions qui n’ont pourtant pas aidé Bébé à se décider.
(Décollement des membranes : technique manuelle utilisée pour lancer le travail).
Deux jours avant la date du terme, nous avions rendez-vous à nouveau chez le médecin pour une séance de monitoring avec échographie de contrôle. A peine quelques mots durant la visite mais avant de me rhabiller il me dit « Je t’hospitalise demain pour un déclenchement». Je suis sans voix, je ne comprends pas et je lui demande si notre Bébé va bien. Il me répond qu’il y a peu de liquide amniotique.
[Nous avons su après que la piscine de Bébé ne manquait pas de liquide, bien au contraire, mais que notre médecin avait des projets pour le week-end. En me faisant hospitaliser un mercredi matin, j'étais sortie dès le vendredi soir ou maximum le samedi matin. Ce médecin savait que mon corps était prêt et que Bébé finissait tout simplement de se préparer. Un médecin qui a tout simplement négligé ses obligations professionnelles au profit de ces intérêts personnels].
Ce soir là, j’ai beaucoup marché, rangé, nettoyé et j’ai caressé mon ventre en demandant à notre Bébé de nous faire signe afin de ne pas laisser le médecin nous imposer sa volonté.
Pourquoi n’ai-je pas eu le courage de m’opposer à cette décision qui pourtant me concernait exclusivement ?
Ce Mercredi 22 Octobre 2008, nous nous sommes rendus à la clinique alors que dans ma tête je me torturais à savoir ce que j’avais pu mal faire pour que les choses ne se déroulent pas comme je l’avais imaginé durant toute ma grossesse. J’avais idéalisé la naissance de notre Bébé et au moment où nous allions enfin faire sa connaissance, j’étais incapable de m’enlever cette culpabilité à l’idée que si cela se passait mal, c’était évidemment de ma faute…
Nous sommes arrivés en fin de matinée (bien plus tard qu’à l’heure fixée par le médecin) après avoir gardé l’espoir que Bébé finirait par se manifester…
Une fois les formalités administratives terminées, j’ai été conduite à l’étage de la maternité où une infirmière nous a demandé d’attendre dans une chambre la visite de la sage-femme. Lorsqu’elle est entrée dans la pièce, j’étais heureuse de découvrir que c’était celle avec qui j’avais suivi les cours de préparation à la naissance. Elle est très douce et surtout très professionnelle cependant elle devait obéir aux consignes que notre médecin lui avait soigneusement confiées (lavement et perfusion d’occytocine). J’écoute ce qu’elle me dit même si je n’ai qu’une envie, celle de me mettre à pleurer et de lui demander de me laisser partir…
J’ai été descendue en salle de dilatation vers 12h30 et le gynéco est venu me voir vers 13h30. Je me souviens encore de la sage-femme entrant dans la pièce pour me prévenir de l’arrivée de notre médecin et augmentant au passage la dose d’occytocine, «s’il voit que c’est si bas, je vais me faire engueuler ». Fidèle à son habitude, il nous a très peu parlé, il m’a demandé de m’allonger pour percer la poche des eaux puis il m’a dit qu’il reviendrait en milieu d’après-midi. Il a également demandé à la sage-femme d’augmenter encore la dose de la perfusion…
Après ça les contractions sont devenues encore plus fortes et très rapprochées. C’est le moment que Mr mon Mari a choisi pour abandonner la lecture de son journal et me laisser « à ma besogne » le temps d’aller déjeuner. En décrivant la scène de cette façon, j’ai l’impression d’être très injuste envers lui car en réalité je pense qu’il était aussi perdu que moi. Il ne savait pas comment se rendre utile et j’étais incapable de savoir ce qu’il aurait pu faire pour m’aider à vivre le mieux possible ce moment si délicat. J’étais complètement absente de ce qui m’arrivait, je ne voulais qu’en finir avec ces douleurs et avec ce sentiment d’être uniquement un contenant relié à une machine de torture. La pièce résonnait des pulsations cardiaques de notre Bébé et j’essayais autant que possible de me convaincre que tout allait bien se passer.
Vers 16h00 mon col était ouvert à 4 et après le changement de sage-femme, j’ai été conduite en « salle d’expulsion », dixit les mots inscrits sur le panneau à l’entrée. L’anesthésiste est venu pour me poser la péridurale (que je n’ai pas eu à demander, c’est d’office en cas de déclenchement) et même si je n’ai rien senti sur le moment, les effets se sont faits sentir très vite. J’ai commencé à avoir très froid, j’avais la nausée et mon pouls a commencé à chuter. J’ai alors senti une légère agitation autour de moi, la sage-femme a immédiatement baissé la dose de la perfusion et j’ai été mise sous oxygène.
Grâce à la péridurale, les contractions continuaient à faire leur travail au niveau du col (difficilement car j’étais allongée) mais la douleur avait disparu. J’étais très mal à l’aise car je ne pouvais même pas bouger et j’avais la bouche très sèche à cause de l’oxygène. Le gynéco allait et venait, tout comme un grand nombre de personnes présentes dans la salle alors qu’elles n’avaient aucun rôle dans notre histoire.
Une fois que le col a été complètement dilaté, il fallait maintenant le faire sortir ce Bébé. Ils m’ont fait mettre les pieds dans les étriers et ils m’ont dit de bien écouter les ordres consignes qu’ils allaient me donner. Ils m’ont demandé de pousser et même si j’avais l’impression de donner le meilleur de moi, avec la péridurale je ne sentais absolument rien de ce qu’il se passait en dessous de mon nombril. Il a fallu s’y prendre à plusieurs reprises, me taire pendant que la sage-femme appuyait sur mon ventre avec son bras, les entendre râler car je ne m’y prenais pas correctement et voir le gynéco préparer la ventouse qui allait servir à sortir notre Bébé. Ils ne me l'ont pas donnée tout de suite, j'ai pu la voir lorsqu'ils l'emportaient pour lui faire les soins "habituels" et j'ai pu l'entendre pleurer longtemps pendant que le gynéco s'occupait de réparer tout ce qu'il avait réussi à abîmer en sortant mon bébé.
En fait c’est bien cela. Ils ont sorti mon Bébé, c’est peut-être ça que j’ai eu le plus de mal à accepter, je voulais le faire naître ce Bébé et non pas que l’on me l’arrache de cette façon. De plus, je suis persuadée que tout cela a eu des conséquentes sur les premières semaines de vie de notre enfant. Un Bébé au sommeil très agité, des pleurs difficiles à calmer, un besoin constant d’être rassuré.
Alors oui, j’ai eu de la chance car cela ne s’est pas soldé par une césarienne, oui j’ai eu de la chance car notre Bébé est né sans aucun problème particulier et oui je sais que l’on fini toujours par oublier. Ou pas… Près de trois ans ont passé et je me souviens parfaitement de cette douleur, de cet état de faiblesse lié à l’hémorragie qui a suivi la naissance de notre Princesse, de ces larmes que l’on verse lorsque l’on revient sur terre après ce voyage si intense qui a commencé neuf mois auparavant.
J’avais pourtant confiance en mon corps, lui qui avait su remplir son rôle à la perfection depuis le début de cette grande aventure. Je regrette maintenant de ne pas avoir su l’écouter et le respecter davantage. Cette expérience m’a évidemment rendue plus forte, je pose ces mots aujourd’hui avec suffisamment de recul car j’ai eu la chance de vivre une seconde grossesse et un second accouchement qui a su me réconcilier avec mon corps et avec le suivi médical. Ce sera certainement l’objet d’un autre texte, d’autres mots pour une autre histoire...
Ce billet est ma contribution aux Vendredis Intellos de La Famille Déjantée et je tenais à vous faire partager le dossier Pour un accouchement respecté sur le site Psychologies.com qui aborde l'évolution des pratiques vers une naissance moins médicalisée afin de redonner aux mères l'impression d'avoir vécu une expérience unique.